Un seul morceau a suffi pour convaincre que ces grands aïeux avaient enfin engendré une digne descendance.
En écoutant “Pourvu”, qui ouvre son premier album, on peut successivement esquisser un sourire, serrer les poings, sentir ses yeux humides et surtout avoir envie de chanter à tue-tête une mélodie qui s’inscrit déjà très haut dans le répertoire de nos grandes chansons populaires. Le responsable de cette belle prouesse qui nous fait du bien en ces temps troublés est âgé de 27 ans. Un parcours surprenant qui démarre… "Dans la bagnole de son père” (le titre de la deuxième chanson de l’album). Dès lors que celui-ci arpente les routes de la Creuse où la famille réside, passe dans l’autoradio des cassettes de Brassens, Ferrat, Gainsbourg, Souchon et bien entendu Renaud, mais aussi Dylan, Simon & Garfunkel, Neil Young…
Le souvenir restera indélébile et la chanson française son crédo malgré les sarcasmes de ses potes de lycée un peu interloqués de le voir dingue de Jacques Brel quand ils ne jurent que par le hip-hop. Même s’il écrit alors des poèmes, Gauvain est encore loin de s’imaginer auteur-compositeur-interprète surtout en étant au milieu d’une famille de matheux (son père est prof de maths et ses deux frères ingénieurs). La voie des études semble toute tracée, et au sortir du lycée, l’adolescent prend la direction de Paris pour suivre deux années de Prépa Scientifique puis c’est une école d’ingénieur en mathématiques appliquées à Toulouse. Sauf que lors de sa première année dans la ville rose, le virus de la chanson tombe sur le jeune homme qui se met à écrire frénétiquement. En parallèle, il apprend la guitare, non pas pour jouer les chansons des autres, mais pour plaquer des mélodies sur ses textes. C’est à cette époque, en 2009, que sa meilleure amie devenue plus tard sa compagne (“Pourvu” bien entendu et le délicieux “Quand elle appelle sa mère”) l’inscrit à une scène ouverte dans une salle de Toulouse, le Bijou. Se produire face à un public est une révélation pour Gauvain qui enchaîne alors les tremplins. L’idée qu’il pourrait en faire son métier commence à trotter dans sa tête.
Un stage de six mois à Montréal dans le cadre d’un échange avec son école d’ingénieur lui donne l’occasion de suivre des cours d’arrangements, histoire de peaufiner sa technique.
De retour dans la Creuse, son diplôme en poche, plutôt que se mettre à chercher du travail, il repart à Paris à l’automne 2013 et il intègre La Manufacture Chanson, une école artistique où il suit un cursus d’une année scolaire comme auteur-compositeur-interprète. Une étape qui lui permet de jouer dans le circuit des petites scènes chansons de la capitale comme le Limonaire ou le Connétable qui lui inspirera le morceau “Comme Chez Leprest”.
Au sortir de l’école après un bref pas s age dans la vie active comme informaticien, Gauvain qui utilise toutes ses RTT pour faire des concerts, décide de franchir le pas et devient artiste à plein temps. Nous sommes en septembre 2015 et tout va s’enchaîner comme “un beau roman, une belle histoire” sauf qu’il s’agit bel et bien de la réalité. Ce sont d’abord des rencontres déterminantes avec Martial Bort qui va désormais l’accompagner à la guitare, avec son tourneur chez Limouzart et avec ses managers de Bellevue Music. Mais l’allumage de la dynamite Gauvain Sers a vraiment lieu en mai 2016 lorsqu’il fait la première partie de ses héros de lycée, Tryo à Tulle. Ça se passe tellement bien que le groupe embarque Gauvain sur plusieurs dates de sa tournée, dont deux à Paris début octobre 2016 au Cabaret Sauvage. En sortant de ce nouveau succès, Gauvain et Martial en passant devant le Zénith tout proche se mettent à rêver d’un passage dans la grande salle de la Porte de la Villette. “Dans quatre ou cinq ans” se disent-ils en plaisantant, sans se douter qu’un coup de téléphone une semaine plus tard allait précipiter leur entrée dans la cour des grands. Au bout du fil, un certain Renaud, oui le chanteur, qui après avoir écouté “Pourvu” grâce à son assistant, demande à Gauvain d’assurer ses dix premières parties dans ce même Zénith de Paris qui faisait tant rêver le Gavroche d’adoption. La bienveillance de l’auteur de “Mistral gagnant” qui sent évidemment la filiation permet à Gauvain de se sortir haut la main de cet exercice toujours délicat. Et plutôt que de huer comme cela se fait d’habitude celui qui fait la première partie, le public va se précipiter pour acheter son EP auto-produit, à raison de plusieurs centaines tous les soirs. Un tel triomphe que Renaud va embarquer Gauvain sur l’ensemble de sa tournée.
Une avalanche de dates qui lui laissent quand même le temps en janvier et février dernier d’enregistrer son premier album sous la direction de Robin Leduc, réalisateur aux choix toujours délicats et élégants. Nourris de cet équilibre miraculeux entre tendresse, colère et humour, les chansons de Gauvain Sers déroulent un fil rouge de la Creuse à Paris tout en jetant des ponts musicaux outre-atlantique du côté de Dylan ou Simon et Garfunkel. On le voit tour à tour habile portraitiste comme sur “Mon Rameau” où en compagnie de la charmante Clio il incarne la statue de la Place de la République à Paris, ou “le Ventre du Bus 96” et sa touchante galerie de personnages.
Mais les textes de Gauvain, souvent autobiographiques, sont aussi à l’aise dans la chanson vraiment engagée, la protest poésie tel “Hénin-Beaumont”, pamphlet anti-FN, ou carrément sociétale avec la bouleversante “Mon fils est parti au djihad” écrite pourtant bien avant les attentats de novembre 2015. On découvrira sur un disque qui nous tient par les sentiments mais sans jamais céder aux effets faciles, deux moments rares de respiration où Gauvain ose deux poèmes réalistes “Un Clodo sur toute la ligne” et “le Poulet du Dimanche”.
Deux justes représentations d’une plume alerte, sensible et surtout sociale dans laquelle se reflète l’ombre de Jacques Prévert ou le goût de la description des détails du quotidien que l’on retrouve chez le cinéaste Jean Pierre Jeunet (réalisateur du clip de “Pourvu”). Car Gauvain Sers est aussi passionné de cinéma. Citons les films de Cédric Klapisch et la comédie française culte de La Grande Vadrouille au Dîner de Cons. Oui on peut être engagé et aimer rire.
Pour conclure, une question : tout comme Renaud à ses débuts, Gauvain finira-t-il avec le succès par abandonner cette casquette de velours devenue son emblème ? Quelque chose laisse penser qu’il ne va pas falloir attendre très longtemps pour connaître la réponse….